Les associations de protection de l’Environnement des Vallées des Paillons ont organisé en présence de VICAT, des élus et des riverains une Conférence-débat avec Maurice SARAZIN sur « l’Incinération des déchets en cimenterie », consécutive au projet de VICAT de « valoriser » des Mâchefers de l’Usine d’Incinération d’Ordures Ménagères SONITHERM de Nice
Bernard Troquet directeur des questions environnementales et Grégoire Douillet responsable de l’activité déchets chez VICAT, venus tout spécialement de Paris, ont eu largement la parole afin de tenter de rassurer sur leurs méthodes en vantant, entre autres, le filtre à manche, censé piéger la quasi-totalité des poussières.
Maurice Sarazin, le conférencier, est ingénieur en ensembles industriels variés : traitement des minerais, cimenteries, centrales thermique, papeteries, pétrochimies, techniques de l’environnement, Directeur des études dans un engineering spécialisé en méthanisation. Actuellement à la retraite, vice-président du CLAPE LR (Comité De Liaison Des Associations Pour L’environnement - Languedoc-Rousillon) pour le département de l’Hérault et vice-président de l’Association Pour la Protection de l’Environnement du Lunellois (APPEL) et membre du CNIID.
Son exposé que nous avons filmé était fort clair, bien que très technique, et pour commencer il a illustré ses propos par des transparents qui montraient ce qui se passe dans différents fours à ciment.
Ses commentaires sur l’introduction des déchets divers et variés, dans ce type de four, ainsi que la réalité des températures effectivement obtenues ont été appréciés.
Il a démontré que ce que disent les cimentiers doit être relativisé au regard de la complexité de la réalité.
Comment peut-on imaginer finir de “brûler” des Mâchefers d’usines d’ordures ménagères dans un four à ciment ?
· La réglementation du 20 septembre 2002, prise en application de la directive européenne du 4 décembre 2000 impose pour les cimenteries qui brûlent des déchets industriels comme combustible d’appoint, de respecter (à partir de décembre 2005) les mêmes limites d’émission de polluants que celles imposées aux incinérateurs de déchets ménagers.
Normalement les déchets industriels spéciaux doivent être traités dans des installations spécifiques où la température des gaz issus de la combustion doit être égale ou supérieure à 1100 °C durant deux secondes.
(Pour les fours incinérant des OM ou des DIB, cette température n’est que de 850 °C durant deux secondes)
Pour en revenir aux cimenteries, il ne faut pas se leurrer sur la réelle température des gaz de combustion. Une flamme de brûleur à fioul ou à gaz, selon l’excès d’air ne dépasse guère les 1550 à 1650 °C, durant un temps qui n’est peut-être pas de 2 secondes.
Par contre, la température du "clinker" (ciment brut, avant broyage et formulation) ne peut dépasser les 1150 à 1250 °C pour des raisons d’exploitation bien connues des cimentiers, à savoir qu’en fonction des impuretés contenues dans la matière brute issue de la carrière, le point de "clinkérisation" se situe dans cette fourchette de1150 à 1250 °C.
Au-dessous la réaction exothermique n’a pas lieu (on fabrique alors de la chaux et non pas du ciment) et au-dessus il y un risque de "collage" du clinker sur la paroi du four rotatif ce qui entraîne le bouchage du four et de graves ennuis d’exploitation.
Donc, si des déchets industriels solides sont introduits dans un four à ciment ce sera dans le clinker où on est sûr que la température restera en dessous de 900 °C, jusqu’au point de clinkérisation (zone relativement courte du trajet dans le four, attendu que la réaction exothermique entretient la t° de 1150 à 1250 °C seulement juste à la sortie du four).
Les exploitants des cimenteries doivent donc respecter les directives applicables aux incinérateurs de déchets ménagers.
Notamment ils doivent s’assurer de la qualité, de la quantité et de la provenance des déchets qu’ils doivent incinérer comme combustibles d’appoint, pour avoir un produit homogène, opération impossible à réaliser : il faudrait du personnel nombreux et expérimenté pour satisfaire cette obligation.
L’argumentation développée en faveur de ce mode de destruction des résidus dangereux était que la température élevée des fours à ciment (jusqu’à 1800 °C) détruit tout et rend inoffensifs les gaz de combustion qui en résultent, est fausse.
Car généralement, les cimenteries ne disposent que d’un filtre électrostatique, qui ne limite que les émissions de poussières : Cela est nettement insuffisant pour réduire les polluants gazeux qui ne sont nullement retenus par ce type de filtre.
De plus il faut noter que le flux de gaz sortant d’une cheminée de cimenterie est énorme par rapport au seul flux qui résulterait de la combustion du fioul ou du gaz combustible.
Il faut dire aussi que les polluants recherchés dans les fumées d’incinérateurs ou de cimenterie sont exprimés en mg ou ng par Nm3 de fumée, il ne s’agit que d’une grande dilution hypocrite qui ne change rien à la quantité de polluants rejetée, mais qui la rend acceptable en pourcentage.
Les normes en ce domaine, sont qualifiées de normes de complaisance ou de faisabilité, par certains scientifiques qui considèrent que 1 ng de dioxine par Nm3 de fumée, n’a aucun sens, attendu qu’une tonne, de déchets urbains, incinérée produit 8000 Nm3 de fumée et qu’il y a une proportionnalité entre le volume des fumées et la quantité incinérée.
Exemple : un incinérateur de 100.000 tonnes an, aux normes actuelles, produira : 100.000 X 8000 x 0,1 = 80 millions de ng ou 0,8 g de dioxine par an (s’il est toujours aux normes - un seul contrôle annuel !) Pourtant c’est la capacité ponctuelle de résorption de l’environnement local qui devrait être pris en compte. Un incinérateur de 1.000.000 de tonnes an, respectant les normes polluera pourtant 10 fois plus, mais il sera aux normes !
· Il y a une différence fondamentale entre un four d’incinération d’ordures ménagères et un four à ciment quant au parcours des matières (voir schémas joints).
Le four à ordures ménagères brûle les déchets sur une grille, située à la base du four, et la totalité des gaz issus de cette combustion hasardeuse sont obligés de passer par le point le plus chaud de la chambre de combustion, juste après l’injection d’air secondaire. Ceci se traduit par 850°C durant 2 secondes pour tous les gaz issus de la combustion.
Dans un four à ciment, on introduit la matière à un bout du process et le brûleur est à l’autre bout. Compte tenu que la matière introduite est un mélange "silico-calcaire" inerte il se réchauffe progressivement pour
atteindre le point de clinkérisation au plus prés de la flamme du brûleur.
Là la réaction exothermique de clinkérisation oblige le "cuiseur" à maîtriser sa température de flamme pour éviter les collages.
Il faut savoir qu’il est impossible d’introduire les déchets au niveau de la flamme ( contrairement à ce qu prétendent les cimentiers) car
* Cela ferait chûter la t° à ce point crucial de la clinkerisation du ciment * Il n’y a aucun matériau qui permettrait d’aménager un sas d’introduction à ce niveau de la t° du four.
En effet il faut considérer que,
1) La température de flamme d’un brûleur de four à ciment est de l’ordre de 1700°C et non pas 2000 °C ! C’est d’autant plus certain que la combustion d’une partie des déchets ajoutés (partie liquide), à faible PCI (Pouvoir calorifique inférieur) diminuera la température de flamme.
2) Un four à ciment est un procédé thermique à flux croisés. C’est à dire que le point le plus chaud du four est du côté du bouclier de chauffe, au droit du brûleur, et que c’est également le point d’évacuation de la matière cuite (juste avant le refroidisseur).
Or il est question d’introduire les déchets solides dans le “cru”, autrement dit dans la zone la plus froide du four et les déchets à brûler se réchaufferont progressivement au fur et à mesure de leur progression vers la zone la plus chaude.
Il s’ensuit que le début de gazéification des déchets va produire des fumées polluées (émises à la température basse du point de gazéification, bien avant l’ignition du gaz) qui, elles, partiront vers la cheminée (sans s’être enflammées) en s’éloignant de la zone la plus chaude !
C’est exactement l’inverse d’un four d’incinération d’ordures ménagères, où la totalité des gaz de combustion passe par le point le plus chaud du four (850°C durant deux secondes) et où les déchets incinérés eux, se transforment en mâchefers plus ou moins brûlés (5% d’imbrûlés), en ne subissant aucun contrôle de température avant de tomber dans le cendrier humide où ils sont éteints.
3) L’arrêté du 20 septembre 2002 est très clair quant à la co-incinération de déchets urbains dans les cimenteries.
En effet il importe que l’arrêté d’exploitation précise que le contrôle des rejets atmosphériques soit du même niveau que pour l’incinération des OM dans un incinérateur.
D’autre part, une grosse partie des gaz issus de la cheminée d’une cimenterie, est générée par la matière à cuire qui n’est pas un combustible ! Il s’ensuit que la teneur en polluants des fumées se trouve minimisée (une sorte de dilution) qui est une tromperie(voir schémas joints)
En effet un incinérateur qui brûlerait la même quantité de déchets que la quantité prévue dans la cimenterie de ST Egrève (115 000 T/an), aura un débit de fumées bien plus bas et qui correspondra à environ 5500 Nm3 par tonne brûlée.
Or la norme de pollution atmosphérique est ramenée à 1 Nm3 de fumée !
Au surplus,on y brûle des graisses animales. Celles-ci sont généralement très chargées en dioxines et furannes, attendu que la solubilité de ces molécules dans les graisses, est bien connue.
Selon l’arrêté du 20 septembre 2002 sur la coincinération de déchets domestiques en cimenterie :
* Les gaz de combustion issus des déchets ajoutés doivent passer à une température de 850 °C durant 2 secondes. Compte tenu que la vitesse du flux de gaz, au niveau de la pleine section de la partie cylindrique rotative du four à ciment, est de l’ordre de 2 mètres par seconde, il conviendrait donc que les déchets à coincinérer soient entièrement gazéifiés en un point du four où la température serait bien supérieures à cette valeur (au moins 1000 °C pour tenir compte du “delta T” nécessaire à tout transfert thermique d’un milieu dans un autre, surtout quand l’échange est “gaz/solide”).
Je doute sérieusement que ce puisse être le cas sur un four en voie sèche, si l’introduction à lieu en sortie de la partie tournante du four, par un sas spécial ajouté à cet endroit.
* Par ailleurs, n’est-il pas étonnant que l’exploitant de la cimenterie soit tenu de calculer la quantité de déchets liquides imputables aux déchets ajoutés, pour déterminer la teneur en polluants par rapport à ce débit, alors qu’une telle condition n’est pas exigée pour les gaz de fumée ?
Ceci revient à diluer par quatre la vraie teneur en polluants des fumées émises par les seuls déchets ajoutés, sans diminuer le moins du monde la quantité totale de polluants rejetés.
Ce laxisme de la norme ne serait-il pas dû au fait qu’il n’y a pas de rejets liquides imputables aux déchets brûlés dans un four à ciment, alors que la quantité de gaz issue des déchets représente sensiblement le quart du débit total des fumées.
* Parmi les autres impositions de l’arrêté du 20 septembre 2002, il y a obligation de contrôler le déchargement des déchets lors de l’arrivée à l’usine, ce qui est pratiquement impossible à cause du personnel à mobiliser à cette fin. Pour information, ce point particulier n’est pas respecté par les exploitants d’incinérateurs !
II - Toxicité des mâchefers
* Généralités
C’est la première fois que j’entends parler de l’utilisation de mâchefers en cimenterie.
Il ne s’agit nullement d’un combustible car son contenu énergétique est très bas.
Les imbrûlés, de l’ordre de 5 % poids, ne représente qu’un faible apport en combustible.
Toute combustion de produits carbonés, tels les déchets ménagers ou autres produits ligneux, entraînera la production de gaz à effet de serre dont le CO2. Pour les déchets ménagers, c’est une tonne de CO2 qui est rejetée par tonne incinérée ! Je ne vois pas comment il en serait autrement en cimenterie.
Les mâchefers sont déjà partiellement brûlés dans les fours à ordures ménagères entre 150 et 450 °C selon le temps de séjour dans le four et l’humidité des déchets.
Il faut noter que ces mâchefers contiennent tous des dioxines et des furannes à des teneurs allant de 1,5 à 10 nanogrammes par kg de matière sèche (Selon document officiel établi par TIRU et le Ministère de l’environnement en 1997).
Attendu qu’une tonne de déchets incinérée produit environ 300 kg de mâchefers, il y aura de 450 à 6000 nanogrammes de dioxine pour 1 tonne incinérée.
La même tonne de déchets produira environ 7500 Nm3 de fumées qui, en respectant les normes, produiront environ 750 nanogrammes de dioxines.
Autrement dit, un incinérateur peut libérer dans la nature jusqu’à 8 fois plus de dioxines par ses mâchefers que par ses fumées.
Pourtant il n’y a aucune limite à la teneur en dioxines des mâchefers.
* Risques liés aux mâchefers
Les mâchefers sont les résidus solides de la combustion, plus ou moins complète, des déchets. Ils représentent de 27 à 33 % du tonnage incinéré. Ils ne représentent que 10 à 15 % en volume.
Les seuls contrôles effectués sur les mâchefers sont leur taux d’imbrûlés et leur taux de lixiviation.
Il n’y a pas de contrôle de la teneur en polluants.
Pourtant des études américaines prouvent que les mâchefers contiennent de nombreux polluants, dont des dioxines en quantité importante.
Malgré cela les exploitants d’incinérateurs s’efforcent de faire utiliser ces mâchefers en sous-couches de route ou en remblais. Ainsi dans le Gard, par exemple, des routes et des voies internes de lotissements bon marché sont faites à base de mâchefers.
Le faible coût de ce matériau est attractif pour les promoteurs.
Il faut savoir que la masse des déchets en combustion, qui se transforme en mâchefers, a une température hétérogène de ses constituants, durant leur transfert, selon leur teneur en humidité.
Il est bien connu qu’un produit saturé en eau ne peut atteindre plus de cent degrés Celsius, tant que la dernière trace d’eau n’est pas évaporée.
Aucun instrument ne peut mesurer efficacement ces températures.
Quand on constate, dans les mâchefers, la présence de morceaux de « sacs-poubelles », encore intacts, et des fragments de papiers imprimés encore lisibles, c’est la preuve que ces éléments n’ont atteind la température de 115°C durant toute leur traversée du four.
En effet, ces éléments ont leur point d’auto-inflammation autour de 115 °C.
La mise en place de mâchefers en sous-couche de route doit s’effectuer dans le respect de la circulaire ministérielle du 9 mai 1994 et de ses annexes. Celles-ci ont de telles contraintes que peu de lieux susceptibles de réunir, à la fois, l’ensemble des critères à satisfaire ne peuvent exister. C’est donc à tort que ces mâchefers sont ainsi « valorisés ».
Les mâchefers, à cause de leur réelle toxicité devraient être enfouis en classe 1 ou confinés dans des liants hydrauliques.
* Analyse des mâchefers « valorisables »
Des mâchefers, en provenance de l’incinérateur de LUNEL-VIEL, après un simple traitement à sec, sur la plate-forme de VEDENE (à côté d’Avignon), ont été utilisés en sous-couche de route dans le Gard. Les associatifs ont fait faire des analyses par le Laboratoire des fraudes de Montpellier qui donnent 2,2 grammes de plomb et 1,32 milligramme de Cadmium, par kg de mâchefers prélevé.
S’il s’agissait d’un résidu industriel, de telles teneurs en polluants, obligeraient à enfouir lesdits déchets dans une décharge de classe 1, réservée aux produits toxiques.
On constate donc que ce sont les routes qui deviennent, de ce fait, des décharges de classe 1 !
* Dans l’article de presse (Nice Matin) relatant la conférence on lit ce que dit VICAT :
« Le mâchefer n’est pas mélangé au ciment, en fin de parcours ne subsiste aucun résidu »
Maurice Sarazin est formel :
« Les réponses des cimentiers sont insuffisantes et trop évasives.
Il faut que les cimentiers dévoilent leur technique d’introduction des déchets solides broyés dans leurs fours à ciment.
La partie tournante d’un four ne comporte que deux extrémités où on puisse installer un sas d’introduction de déchets : 1°) côté brûleur, sur le bouclier de chauffe, où les déchets pourraient “traverser” la flamme à 1700 °C. En cet endroit, le temps de séjours risque d’être trop court car la sortie des déchets vers le refroidisseur serait quasi immédiate. De plus, il conviendrait que l’apport de déchets soit continu et à PCI constant de façon à ce que l’énergie thermique transmise au clinker soit également constante. C’est la raison impérative pour obtenir un clinker (et donc du ciment) de qualité et surtout pour ne pas le rendre collant et boucher le four tournant.
2°) Côté sortie de la partie tournante, où la température est infiniment plus basse. En ce point particulier ce sont les gaz issus des déchets qui risquent de ne jamais passer, durant deux secondes, à la température de 850 °C imposée par la réglementation.
Quant aux résidus de la combustion des déchets ils seront bien intégrés au clinker, et se retrouveront donc dans le ciment après broyage. Il serait donc légitime de labelliser ce type de ciment, au nom de la traçabilité légale des produits. Ainsi après les CPA (ciments portland artificiels) les CPLC (ciments portland aux cendres volantes, il y aura les CPADM (ciments portland artificiels aux déchets ménagers... »
· Il est interessant de souligner également qu’ un document de référence, le BREF de fabrication du ciment et de la chaux validé par ATILH, ADEME, INERIS ( http://aida.ineris.fr/ ) déclare que :
« Les composés volatils présents dans les déchets introduits avec la matière ou les déchets solides peuvent se vaporiser. Ils ne traversent pas la zone de chauffe primaire et peuvent ne pas être décomposés ou ne pas s’intégrer chimiquement au clinker.
L’incinération de déchets contenant des métaux volatils (mercure, thallium) ou des composés organiques volatils peut donc entraîner une augmentation des émissions de ces substances si leur mise en œuvre est inappropriée. »
ASSOCIATION PAILLONS ENVIRONNEMENT BP 55 06391 CONTES - décembre 2004